Isabelle Alfonsi, « Vénus Hottentote », « Femme qui rit », femmes voilées, visages modifiés et autres masques de la féminité


















A l'occasion de la session 4, Isabelle Alfonsi a parlé d'un texte qu'elle a écrit en 2012 et qui avait été refusé par la publication qui l'avait commandé. Soulevant des questions fondamentales sur un féminisme post-colonial, nous sommes très heureuses de le publier. En voici le début, le texte dans son intégralité est accessible en cliquant plus bas : 

"En 1929 la psychanalyste anglaise Joan Riviere faisait paraître dans le Journal of Psychoanalysis un court texte intitulé « Womanliness as a Masquerade »[1]. À travers l’étude de plusieurs cas de patientes se présentant aux hommes dans une relation de compétition, Riviere s’engage dans une définition, périlleuse, de la féminité. Si la différence homme/femme y apparaît relativement figée et essentialiste, le texte aborde néanmoins une question fondamentale du féminisme. Les femmes qu’elle étudie, ont, selon elle, la volonté d’accomplir des tâches considérées en 1929 comme masculines : parler en public, écrire, faire montre d’un savoir technique. Malgré leur réussite dans ces tâches, elles ne cessent de chercher l’approbation d’hommes autour d’elles, et essaient de les séduire dans ces situations « masculines » qui les rendent anxieuses. Ainsi, en voulant être l’égale des hommes, elles surenchérissent de féminité, comme si elles se repentaient immédiatement de tenter de prendre leur place. « Je souhaiterais montrer que les femmes qui aspirent à la masculinité peuvent se parer du masque de la féminité pour éviter toute anxiété et une punition en retour de la part des hommes »[2] La pensée que développe « Womanliness as a Masquerade » autour du masque est ainsi précurseur de textes plus fameux de la pensée féministe qui posent la féminité non comme innée mais comme acquise : « on ne naît pas femme, on le devient » du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir (1949)[3], et son extension plus contemporaine qui permettra le développement du post-féminisme dans les années 1980  « les lesbiennes ne sont pas des femmes » de Monique Wittig[4].

Le lecteur peut à présent se demander comment je définis la féminité, ou bien quelle est la limite que je trace entre la féminité réelle et sa “ mascarade ”. Ma suggestion en fait est qu’une telle différence, radicale ou superficielle, n’existe pas. Il s’agit de la même chose[5]
[…]



[1]  Ce texte est paru en France en 1964 sous le titre « La féminité en tant que mascarade » dans La Psychanalyse, n° 7 : « La sexualité féminine », puis a été republié en 1989 dans l’ouvrage dirigé par Marie-Christine Hamon, Féminité Mascarade, Paris, Seuil, 1994. Le texte est consultable en ligne à l’adresse : http://it.scribd.com/doc/38635989/Riviere-Joan-Womanliness-as-Masquerade-International-Journal-of-Psychoanalysis-Vol-10-1929-303-13
[2]  « I shall attempt to show that women who wish for masculinity may put on a mask of womanliness to avert anxiety and the retribution feared from men » Ibid., p. 303.
[3] Paris, Gallimard, 1949.
[4]  Monique Wittig, La Pensée straight, Paris, Éditions Amsterdam, 2007, p.61 (première publication dans Question féministes n°7, février 1980).
[5]  « The reader may now ask how I define womanliness or where I draw the line between genuine womanliness and its 'masquerade'. My suggestion is not, however, that there is such difference; whether radical or superficial, they are the same thing. » Ibid., p. 306.

Image : Abdellatif Kechiche, Vénus noire, 2013

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