Giulia Andreani, Bonjour, excusez-moi, est-ce que vous habitez dans le quartier ?

Giulia Andreani, "Edouardo Cosimo Cammilleri (Vignonet)", 2012, aquarelle sur papier, 37 x 46 cm
Octobre 2013

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J’arrête une femme dans la rue Jean Pierre Timbaud « Bonjour, excusez-moi, est-ce que vous habitez le quartier ? ». Elle tient ses deux enfants par la main, un garçon et une fille, à la sortie de l'école. Elle est élégante, un voile gris bien arrangé sur sa tête et autour du cou. Je lui explique mon projet, au moment où je parle d'immigration dans le quartier je perçois quelque chose d’étrange dans son regard, de la méfiance peut-être, je me dis que j'ai du mal construire une phrase. Restant courtoise, elle sort une agenda et note mon e-mail.

Harri_
Deux garçons discutent sur le trottoir, ils ont des capuches, vertes et noires et pas plus de 20 ans.
L'un semble étonné de me voir les approcher, il parait timide et parle en racaille. Il s’appelle Kevin et dit qu'il habite dans le quartier avec sa famille, ses parents et ses frères et sœurs, dans une chambre d’hôtel. Il est né en Côte d'Ivoire et parle bien français. Il se moque de mon portable et de la façon dont je prononce « ok ». L'autre garçon, poli et souriant s’appelle Harri, avec un « I », il insiste. Il habite dans un appartement du quartier avec son grand frère. Il me demande si je suis espagnole : « Non, italienne », je réponds. Il est ravi : « anche io! », il s'exclame et commence à parler en italien, avec un très fort accent aux couleurs des Pouilles et de la banlieue parisienne. Il raconte qu'il est plombier, il cherche du travail (il sort un dossier rouge de sa veste en cuir et le montre). Kevin cherche un emploi aussi : « C'est dur en ce moment, putain de sa race ! ».
Je continue à expliquer mon projet, je leur demande s'ils peuvent me donner leur mails, pour m'envoyer des images qu'ils auraient de leurs familles. Kevin n'a pas de mail, ils n'ont pas internet à l’hôtel. Il regarde les images du portfolio avec des dessins et peintures, ils servent de « modèles ». « Non mais vazy tu vas te faire des tunes ! ». Je dis que non. « Mais c'est joli, mademoiselle ! Tu pourrais te faire du pognon avec ces beaux dessins ! ». Je lui dis que si je fais un dessin de sa famille, je lui donnerai. Il dit à Harri que ce serait trop classe d'avoir au-dessus du canapé un portrait de famille même s'ils sont à l’hôtel.

nayla.lachelah
Mikaela me propose d'aller vers l'école primaire, c'est l'heure de la sortie et il y a beaucoup de monde.
Une jeune femme essaie de fermer le manteau de son enfant hyperactif. Je lui parle, le petit est vraiment pressé et je lui dis « Monsieur je parle un instant à votre mère, le goûter est imminent, ne vous inquiétez pas », il est impressionné alors j'arrive à présenter mon projet. La maman dit qu'elle trouve cela très intéressant. Son téléphone sonne « Salut mamita... ça, ça va, Hambdullah... ou il fait super froid... *parle en arabe*... je te rappelle ». Elle me laisse son e-mail et me salue.

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Je vais vers cette jeune fille, elle a des boucles d'oreilles en perles. Elle n'habite pas tout à fait dans le quartier. Etudiante brésilienne, vient chercher un enfant à l'Ecole car elle travaille comme nounou ici. Elle m'écrit son mail.

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Trois femmes discutent devant l'entrée de l'école. Deux quarantenaires et une autre femme plus âgée. Je leur parle du projet. Elles n'ont pas l'air très intéressées, elles sont pressées. La femme plus âgée veut en savoir plus et veut voir des images de mon travail. Une des deux autres femmes en s'en allant me demande mon mail et dit : « Je vous tiens au courant mais je ne crois pas que mon mari sera d'accord ». Les petits enfants sortent de l’école et toujours en regardant le portfolio la grand-mère leur donne des pains au chocolat. Elle me demande mes coordonnées, elle en parlera à sa fille : ils ont des belles photos de famille et habitent dans le quartier depuis des générations.

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Un monsieur avec une grande moustache remonte le trottoir avec sa fillette à la main. « Puis-je vous déranger ? » dis-je « Non » répond-il. Silence. « Enfin, vous ne me dérangez pas. » Je m'excuse auprès de la fillette, il est déjà 17h et il fait froid. Le monsieur me demande si je suis russe. Il me dit qu'il a des photos de famille seulement chez ses parents « C'est compliqué », il ajoute. Il demande mes coordonnées et me dit « Je verrai avec ma femme ; elle est anglaise et ce sera plus exotique ».

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Alors qu'il n'y a presque plus personne à la sortie de l'école, une jeune femme arrive à l'entrée en courant. Son enfant sort. Ils parlent russe entre eux. Je les approche, les salue et parle à la jeune femme. Elle est vraiment très jeune. Olga vit dans le quartier depuis un an avec son fils de 8 ans. Ses parents sont en Russie et ils auront peut-être des photos pour mon projet.

ali
Des hommes parlent devant un restaurant. Il y a un autre groupe de l'autre coté de la rue, devant un café, et des allers-retour en permanence. Il n'y a pas de femmes à part Mikaela et moi.
Je commence à leur parler en m'excusant d'interrompre leur discussion. Je commence à expliquer le projet. Trois, quatre jeunes s'ajoutent. Le serveur de Délices aux milles et une épices sort dans la rue, surexcité. Un autre monsieur attiré par le groupe vient demander ce qu'il se passe et veut voir le dossier. Je n'ai pas fini d'expliquer que le serveur à la longue barbe et le dentier défaillant prend la parole. Il demande si je fais des portraits, si oui « Laissez tomber mademoiselle ici ils sont tous moches sauf moi ». Il dit que lui, il habite à Télégraphe et pas du tout dans le quartier mais qu'il y travaille depuis longtemps. Il dit qu'il a une photo de sa grand-mère à la maison. « Comment je peux te faire confiance moi si je te donne la photo de ma grand-mère ? Tu vais te faire de l'argent avec ma grand-mère qui est morte ? ». Il raconte qu'elle est son héroïne, elle était une combattante pendant la guerre. Je lui dis que c'est génial. Il nous invite à boire un verre dans le restaurant. Ali est tunisien, de Djerba. Il était moniteur sur la plage et parle plein de langues. Il n'a pas de mail, et me laisse son numéro de portable en nous invitant à venir manger au restaurant quand on veut.

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Je rentre dans un internet café tout petit. Au fond il y a un monsieur qui tient la caisse : « Dis-moi ».
Je lui explique que je voudrais une photo de sa famille. Il a l'air dubitatif. Je lui explique comment je travaille d'habitude. Il dit que sa famille est une grande famille sénégalaise mais qu'il na pas des photos, tout est au bled. Il ne peut pas m'assurer de trouver des images mais il m'invite à repasser.

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Un monsieur en qamis à la barbe blanche descend la rue Jean Pierre Timbaud, je me permets de l’arrêter. « Il faut appeler au bled. Vous les jeunes vous avez des photos sur facebook». Il est très gentil mais pressé car la prière commence.

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Deux adolescentes marchent côte à côte, avec leurs casques aux oreilles. Je les arrête. L'une est très souriante, marche avec des béquilles. L'autre m'écoute sans me regarder, fière et boudeuse pliée sur son jeu iphone. Je leur demande si elles auraient des photos de leur famille. Si leurs parents sont d'accord elles pourraient me les envoyer. La fille silencieuse veut bien me donner son mail. Elles me demandent si je vais les payer pour cela. Je leur dis que non, mais que si elles aiment le résultat de mon travail je leur donnerai. En regardant le portfolio : « Eh, t'imagine meuf avoir un truc comasse chez toi, c'est cool ! ».

L'intervention de Giulia Andreani a eu lieu lors de la session 4 le 7 février 2014

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