EVA BARTO, CYRIL VERDE, THE CHOICE OBAMA (AND MY 4-YEAR-OLD SON) WON’T MAKE




Pour la session 3 du projet “Si nous continuons à nous parler le même language, nous allons reproduire la même histoire”, Cyril Verde a conçu un protocole et a invité Eva Barto à activer celui-ci avec lui. Lorsque Cyril Verde élabore des protocoles (son travail prend également d’autres formes, multiples), ceux-ci n’ont pas pour but de figer, d’expliquer ou de simplifier. Au contraire, le protocole agit pour lui comme une prise de risque par laquelle des formes instables au sein de sa pratique vont pouvoir émerger et se poser comme autant de questions toujours ouvertes, jamais résolues. The Choice Obama (And My 4-Year-Old Son) Won’t Make est un protocole de collaboration, qui fournit un cadre permettant à deux artistes de collaborer ensemble, c’est aussi un outil qui vient saboter cette collaboration en exposant les impasses inhérentes à toute pratique à plusieurs.

Tout a commencé par un article lu par Cyril Verde sur le site internet du Huffington Post [1]. La journaliste y évoque la décision de Barack Obama de ne plus s’occuper de certains détails de sa vie quotidienne impliquant par exemple de choisir ce qu’il mange ou encore les vêtements qu’il porte, ces détails étant réglés par d'autres. Cette initiative s’appuie sur les travaux de la psychologue américaine Kathleen Vohs selon laquelle chacun d’entre nous est en possession d’un capital décisionnel journalier qui nous permet de faire un certain nombre de bons choix, ce capital s’épuisant, notre jugement et notre estime de soi s’affaiblissent, ce qui conduit à une plus grande difficulté à se prononcer. Préserver ce capital implique d’évacuer un certain nombre de décisions sans importance.

Partant de ce constat, Cyril Verde imagine de perturber le processus décisionnel de l’œuvre en mettant sa force de travail à la disposition d’un artiste (ici il s’agit d’Eva Barto) qui devra décider d’un objet à faire fabriquer par lui. Un deuxième élément sera cependant créé, similaire au premier mais qui restera en possession de Cyril. Un double, rétribution en quelque sorte, qui vient nourrir la série en cours intitulée The Choice Obama (And My 4-Year-Old Son) Won’t Make. Ce faisant, Cyril Verde demande à Eva Barto de décider d’une œuvre qui sera réalisée pour elle (et on peut imaginer que la façon dont cette œuvre sera produite par Cyril, sa facture même, est déjà une réappropriation) mais qui lui sera en même temps dérobée sous la forme d’un objet jumeau. On imagine Eva réfléchissant à cet objet : un service lui est rendu mais celui-ci sonne comme une injonction. En contrôlant la façon dont l’œuvre va avoir lieu, Cyril contrôle le cadre formel de cette œuvre, laissant à Eva la tâche d’y ajouter un contenu forcément plaqué sur l’intention première.

Eva Barto demande à Cyril Verde de créer un site internet, il y aura donc deux sites, l’un appartenant à Eva, l’autre appartenant à Cyril. Ces sites sont alimentés par des documents placés par Eva dans un dossier de son ordinateur. Elle a la possibilité à tout moment d’activer une fonction permettant de mettre à jour les sites internet à partir des éléments placés dans ce dossier. Le soir de la présentation dans le cadre de la session 3 de notre projet, Eva a placé dans ce dossier des protocoles et de la documentation appartenant à Cyril et se dédouane ainsi de la demande implicite qui lui était faite de créer du contenu. On le voit, le protocole veut ici montrer ce qui habituellement se passe sous silence : le contrôle, la perte de contrôle, le pouvoir qui accompagne la position d’auteur, l’échange qui peut se faire entre celui qui décide et l’agent qui accomplit l’action. Loin de l’image essentialiste d’une collaboration artistique spontanée voire fusionnelle.

Sans le savoir, les deux artistes font écho à une tradition féministe traquant ce qui se cache derrière des relations humaines qui semblent évidentes et ne se questionnent pas. Ces choix que Barack Obama ou un enfant de quatre ans ne font pas et qui relèvent du quotidien, appartiennent à la catégorie des tâches domestiques, traditionnellement prises en charge par les femmes. Selon le point de vue de Kathleen Vohs, ces femmes seraient ici d’autant plus écartées des processus de décision importants dans la mesure où elles sont accaparées chaque jour par ces infimes mais multiples décisions qui littéralement emplissent leur esprit et le débordent.


Voir le travail d’Eva Barto sur son site internet : http://www.evabarto.net/
Voir le travail de Cyril Verde sur son site internet : http://www.cyrilverde.com/





Image : Présentation du projet durant la session 3 en janvier 2014. Ci-dessus : Protocole initial de Cyril Verde.



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